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2 août 2022
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Les musiques électroniques : machines de contestation contemporaines

MUTEK20 220819 Ryoichi Kurokawa Bruno Destombes 009

Nées dans les années 80 au sein des communautés afro-américaines et queers racisées ciblées par des discriminations systémiques, et en écho au contexte économique compliqué par la crise industrielle, la Techno de Détroit et la House de Chicago ont connu des parcours diamétralement opposés. Si cette dernière, facilement commercialisable en raison de ses rythmes naturellement dansant, a su s’exporter outre-Atlantique et devenir accessible au grand public, la Techno est restée pendant longtemps une musique en marge du système, politique, à l’image d’Underground Resistance.

C’est à Manchester que la Techno trouve ses partisan·e·s Européen.ne.s et s’émancipe progressivement du contexte urbain et du gouvernement Thatcher pour trouver sa place en zone rurale, avant de rejoindre l’Allemagne. Elle conquiert alors les Berlinois·e·s au moment de la chute du mur, où la jeunesse éprise de liberté trouve dans cette musique électrique une réponse à leur besoin d’émancipation.

Les années 2000 ont vu la musique électronique passer de contre-culture à une industrie lucrative et prolifique, devenant une musique de fête avec la multiplication des clubs et discothèques à travers le monde. Quant aux artistes et sous-courants musicaux qui cherchent à exprimer leurs revendications à travers de leurs productions, iels restent largement minoritaires et marginalisé·e·s.

En 2022, les musiques électroniques sont quasi omniprésentes et la part des artistes issu·e·s des musiques électroniques booké·e·s en festival représente 40% de la programmation internationale. Les raves et free-party se sont gentrifiées et ne sont désormais plus ces TAZ (Temporary Autonomous Zone) qui fuyaient l’oppression mais deviennent des lieux de fêtes accessibles et les musiques électroniques sont aujourd’hui représentées par de nombreux festivals institutionnels.

Que reste-t-il alors de cet esprit contestataire à l’heure où ce courant musical réinvestit les centres-villes et où le son de la révolte semble inaudible ?

MUTEK met en lumière trois projets à l’engagement évident qui seront présentés dans le cadre de la vingt-troisième édition de son festival.

Liliane Chlela

Comment parler d’engagement dans la programmation MUTEK sans mentionner Liliane Chlela ? Entre travail de mémoire et expression de la colère qui gronde au Liban, la productrice et DJ hybride libanaise traduit dans son dernier album Safala, l’urgence d’agir. Chlela incarne un certain renouveau de l’esprit Underground Resistance et ce de bien des manières.

L’inaction politique des institutions corrompues qui ne cessent de ravager Beyrouth tant d’un point de vue social qu’économique a poussé Chlela à réagir. Avec des productions industrielles ténébreuses qui rappellent les premières heures de la Techno, elle retranscrit avec noirceur la rage d’un peuple désabusé. Les rythmes électroniques sombres et lourds se mêlent aux traditions orales héritées de sa grand-mère et placent sa musique dans une intemporalité évidente. Safala s’inscrit pourtant bel et bien dans notre époque, la vidéo qui accompagne l'œuvre sonore a été confiée au studio Kawakeb, spécialiste des arts visuels et du design basé à Beyrouth. Le lien entre audio et visuel est immédiat et fait référence à des événements survenus au Liban et des archives remontant à 2015.

L’improvisation, au cœur du travail de la productrice, lui permet d’explorer de nombreux sous courants de la Techno tout en y adjuvant son audacieuse touche musicale. Elle incite ainsi l’auditoire à repousser les limites de l'expérience auditive et à accepter les changements qui s’opèrent. Car certaines habitudes ont la peau dure et la libanaise compte bien les bousculer. Les femmes et la communauté LGBTQIA2S+ se font difficilement une place dans une industrie musicale libanaise gangrénée depuis trop longtemps; elle travaille depuis peu à la création d’un collectif non binaire au Liban qui donnera accès à différents aspects de l’industrie à celleux qui en ont été écarté·e·s.

Liliane Chlela n’est définitivement pas là pour plaire et c'est sûrement pour cette raison que vous tomberez sous son charme.

Un combat à soutenir lors de Play 3, le samedi 27 août 2022 à la Société des arts technologiques [SAT]

Découvrez le premier épisode de notre podcast avec Liliane Chlela, produit en collaboration par Eastern Bloc

Eastern Bloc Podcast

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Pierce Warnecke & Matthew Biederman

Si malheureusement au Liban, le drame a déjà eu lieu, ailleurs il peut encore être évité. Et c’est là tout l’enjeu du projet Spillover de Pierce Warnecke et Matthew Biederman.

Au nord du Portugal à Montalegre, la plus grande mine de lithium à ciel ouvert d’Europe de l’Ouest pourrait voir le jour et ravager plus de huit cent kilomètres carrés de terres fertiles reconnues patrimoine agricole mondial par la FAO, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture. Si la mobilisation locale est forte, la contestation peine à se faire entendre à plus grande échelle tant les enjeux économiques prédominent quant aux conséquences sur les personnes, le paysage et les écosystèmes.

C’était sans compter la commande faite à Warnecke et Biederman par INDEX, la biennale d'art et de technologie du programme de la ville de Braga, au Portugal, en tant que ville créative de l'UNESCO pour les arts médiatiques. En se servant des technologies qui sont alimentées par ce même minerai destructeur, les deux artistes décrivent au terme d’une performance audiovisuelle les divisions qu’engendrerait ce désastreux projet, faisant du paysage géographique l’instrument de leur travail.

Par l’utilisation de la photogrammétrie aérienne et terrestre, Matthew Biederman obtient des nuages de points qu’il génère en image permettant ainsi de visualiser concrètement la discorde que causerait ce projet s' il venait à voir le jour. Car malgré des interactions constantes entre la nature, la culture, la politique et l’économie, les fractures de notre société n’ont jamais été aussi importantes.

Ces données cartographiques sont également traitées et arrangées en son par Pierce Biederman qui nous plonge dans un terrible univers industriel rappelant les premières musiques électroniques. La relation parfaite entre sons et images qui se produit est la métaphore du retour au travail en harmonie avec l’environnement que prêche Spillover.

Une lutte à encourager lors de A/Visions 2, le vendredi 27 août 2022 au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts.

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Évoluant constamment tout en restant fidèles aux valeurs des premiers temps, la musique électronique et les revendications qu’elle porte, ont su se réinventer tout en restant un reflet de notre société. L’engagement des artistes des musiques électroniques ne se fait pas nécessairement à travers leurs musiques. Nombreux·ses sont celleux dont les prises de positions se font par l’appartenance à une communauté, un collectif ou un événement. En programmant ces artistes, MUTEK leur apporte son soutien et souhaite contribuer à l’établissement d’une scène musicale engagée, inclusive, en phase avec son époque.

Cet article a été rédigé par MUTEK dans le cadre de la 23ème édition du festival

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Mots par Grégoire Chevron
Traduction en anglais par Lola Baraldi

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